Réemploi & REP bâtiment : 5 points à retenir du projet de cahier des charges

Le tant attendu projet de cahier des charges de la filière REP Bâtiment (ou PMCB – « Produits et Matériaux de Construction du secteur du Bâtiment ») a enfin été publié, et la consultation est ouverte jusqu’au 16 mai 2022.  

Il faut rappeler que la consultation du public est surtout une obligation légale pour le Gouvernement1, et qu’elle a aujourd’hui dans la pratique peu d’influence sur le sort du texte, qui est généralement scellé à ce stade (après les nombreuses concertations qui ont déjà eu lieu au sein du Ministère). 

Le projet de texte peut donc encore évoluer à la marge, mais les grands axes et les principales obligations sont d’ores et déjà fixés2

Voici donc les 5 points à retenir pour la filière du réemploi des matériaux s’agissant de la REP PMCB qui doit entrer en vigueur d’ici la fin de l’année. Commençons par une bonne nouvelle ! 

1. La bonne nouvelle : il y a des objectifs pour le réemploi !

Ce n’était clairement pas gagné, mais nous avions défendu dans le cadre de la concertation, que la loi AGEC impose au Gouvernement de fixer des objectifs de réemploi pour la filière PMCB3. Le projet de cahier des charges prend finalement bien en compte cette exigence.

Le cahier des charges prévoit de « viser le réemploi et la réutilisation d’au moins 5% de la quantité totale de PMCB en 2028 », et pour atteindre cet objectif non contraignant, fixe deux objectifs intermédiaires à atteindre pour l’éco-organisme : 

  • 2% des PMCB usagés devront avoir fait l’objet d’une opération de réemploi ou d’une opération de préparation à la réutilisation à compter de 2024 ; 
  • 4% des PMCB usagés devront avoir fait l’objet d’une opération de réemploi ou d’une opération de préparation à la réutilisation à compter de 2027.

Pour bien saisir la portée de ces objectifs, il convient de s’attarder sur leurs modalités de calcul.  

Premièrement, ils sont fixés pour chacune des deux catégories suivantes4 : 

CATEGORIE 1 : Produits et matériaux de construction constitués majoritairement en masse de minéraux ne contenant ni verre, ni laines minérales ou plâtre

Cette catégorie inclut les familles de matériaux suivantes : 

a) Béton et mortier ou concourant à leur préparation, 

b) Chaux, 

c) Pierre types calcaire, granit, grès et laves, 

d) Terre cuite ou crue ; 

e) Ardoise ; 

f) Mélange bitumineux ou concourant à la préparation de mélange bitumineux, à l’exclusion des membranes bitumineuses ; 

g) Granulat, hormis ceux indiqués au a et au d ; 

h) Céramique ;

 i) Produits et matériaux de construction d’origine minérale non cités dans une autre famille de cette catégorie.

CATEGORIE 2 : Autres produits et matériaux de construction

Cette catégorie inclut les familles de matériaux suivantes : 

a) Produits et matériaux de construction constitués majoritairement en masse de métal ; 

b) Produits et matériaux de construction constitués majoritairement en masse de bois, 

c) Mortiers, enduits, peintures, vernis, résines, produits de préparation et de mise en œuvre, y compris leur contenant ; 

d) Menuiseries comportant du verre, parois vitrées et produits de construction connexes ; 

e) Produits et matériaux de construction à base de plâtre; 

f) Produits et matériaux de construction constitués majoritairement en masse de plastique ;

 g) Produits et matériaux de construction à base de membranes bitumineuses ;

 h) Produits et matériaux de construction à base de laine de verre ;

 i) Produits et matériaux de construction à base de laine de roche ;

 j) Produits de construction d’origine végétale, animale, ou autres matériaux non cités dans une autre famille de cette catégorie.

Deuxièmement, il s’agit de 2% et 4% en masse des PMCB usagés durant l’année considérée rapportée au gisement de référence défini comme la quantité (en masse) de déchets de PMCB produite annuellement indiquée par l’étude de préfiguration de la filière REP réalisée par l’ADEME

Globalement la CATEGORIE 1 des PMCB correspond aux déchets inertes, et la CATEGORIE 2 aux déchets non dangereux. 

On retrouve donc les objectifs suivants : 

1° / Gisement annuel de « déchets inertes » estimé par l’ADEME = 30 000 kt.

Soit 600 000 tonnes de Produits et matériaux minéraux à réemployer ou à préparer en vue de la réutilisation annuellement à compter de 2024, et 1 200 kt à partir de 2027.

Sachant que les opérations de remblayage et de retraitement des déchets en matières premières secondaires pour les travaux de construction de routes ne sont pas pris en compte pour l’atteinte des objectifs.

2° / Gisement annuel de « déchets non dangereux » estimé par l’ADEME = 9 700 kt.

Soit 194 000 tonnes d’autres produits et équipements de construction à réemployer à compter de 2024, et 388 kt à partir de 2027.

En conclusion, pourquoi la présence d’objectifs de réemploi est réellement une excellente nouvelle ? Parce que c’est un dispositif contraignant pour l’éco-organisme ! 

S’il n’atteint pas ces objectifs, il sera mis en demeure de prendre des engagements pour compenser les écarts constatés (notamment en allouant un montant financier minimum à cette fin), sachant qu’en cas d’échec, des sanctions allant de l’amende au retrait de l’agrément sont prévues5

2. Un plan d’action et une étude prévus pour développer le réemploi

Pour atteindre mais aussi affiner ces objectifs, le cahier des charges prévoit : 

– un plan d’action visant à développer le réemploi et la réutilisation, qui doit être transmis au Ministère par l’éco-organisme au plus tard le 1er janvier 20236. Il devra préciser les familles de matériaux à prioriser pour l’atteinte des objectifs susvisés, et les modalités de soutiens à destination des acteurs du réemploi et de la réutilisation. 

– une étude pour le développement du réemploi et de la réutilisation et l’évolution des objectifs7,  visant à évaluer, avant le 1er juillet 2024, la quantité de PMCB usagés faisant l’objet d’un réemploi ou d’une réutilisation, par famille de matériaux. 

D’ici le 1er octobre 2024, l’éco-organisme devra sur cette base proposer une évolution des objectifs du cahier des charges, et notamment proposer des objectifs par « famille » de PMCB (ce qui semble effectivement plus adapté). 

3. La transposition malheureuse du système de « zones réemploi » en déchetterie

Un des points faibles du cahier des charges est la transposition à la filière PMCB du système visant, pour l’atteinte des objectifs de réemploi, à développer des zones dédiées à la collecte des PMCB susceptibles d’être réemployés au sein des installations proposant la reprise des déchets du Bâtiment. 

Le cahier des charges prévoit ainsi que les points de reprise, mis en place dans le cadre du maillage prévu par la REP ou en dehors, pourront bénéficier d’un soutien financier pour couvrir les coûts de gestion d’une zone dédiée à la collecte et au stockage des PMCB susceptibles d’être réemployés (comportant les équipements nécessaires à la conservation de l’intégrité et des performances de ces PMCB)8 . Ces stocks de PMCB seront ensuite « mis à disposition des opérateurs du réemploi et de la réutilisation qui en font la demande, et au moins des entreprises de l’ESS », sachant que la mise à disposition est « effectuée sans frais, dans des conditions transparentes, équitables et non discriminatoires ». 

Ce dispositif, prévu pour d’autres filières (meubles, jouets, etc.) semble particulièrement inadapté pour les matériaux et équipements de construction. 

En effet, le réemploi des PMCB implique des exigences extrêmement fortes en termes de caractérisation, traçabilité, logistique, qui ne correspondent pas à ce schéma. Sachant que l’assurabilité des matériaux, qui conditionne leur réemploi, dépend du respect de ces exigences et nécessite une traçabilité rigoureuse des matériaux, qui ne pourra probablement pas être assurée. 

À voir donc dans quelle mesure ces « zones de collecte » pourraient plutôt être des entrepôts de stockage, mis à disposition des acteurs du réemploi à titre gratuit (mobilisables pour gérer par exemple les écarts de planning entre chantiers), plutôt que des lieux de « tri et dépôts » du tout-venant. Ce point pourrait probablement être soulevé dans le cadre de la consultation. 

4. La place des acteurs du réemploi dans la gouvernance 

L’un des objectifs de la loi AGEC était de réformer les filières REP, pour améliorer leur gouvernance, et donner plus de place aux collectivités, acteurs de l’ESS, et associations de protection de l’environnement, par rapport aux fabricants qui gèrent les éco-organismes. 

À ce titre, les éco-organismes doivent désormais comprendre un « Comité des parties prenantes »9 , composé de quatre collèges, comprenant un nombre égal de membres et au moins deux membres chacun. Un de ces collèges est composé des représentants d’opérateurs de la prévention (donc du réemploi) et de la gestion des déchets issus des produits relevant de son agrément, dont au moins un représentant de l’économie sociale et solidaire lorsque des opérations de gestion des déchets assurées ou soutenues par l’éco-organisme sont réalisées par ce secteur économique10.

Concrètement c’est l’éco-organisme qui désigne les organisations qu’il souhaite voir participer au Comité, puis nomme les membres du comité sur proposition de ces organisations11.

Ce comité a un pouvoir consultatif étendu, et doit notamment être consulté sur le plan d’actions visant à développer le réemploi des PMCB, et saisi pour avis sur la proposition d’évolution de l’objectif de réemploi et de réutilisation à l’issue de l’étude pour le développement du réemploi. 

Il semble donc important que le Syndicat des acteurs du réemploi des matériaux qui a vocation à représenter la filière se rapproche des candidats éco-organismes rapidement, pour aborder la question de la participation à ce Comité des parties prenantes. 

On notera également que le cahier des charges prévoit la création d’un « comité technique opérationnel », qui doit comprendre des « acteurs du réemploi et de la réutilisation »12

Il sera chargé : 

  • d’assurer « une concertation sur les exigences et standards techniques de gestion des déchets en particulier en ce qui concerne les standards de la collecte séparée, dont ceux de la collecte conjointe, et d’examiner en tant que de besoin les évolutions à apporter à ces exigences ou standards » ; 
  • de formuler des propositions pour la révision de la stratégie de développement des filières de réemploi et de valorisation des déchets portée par l’éco-organisme.

Là encore, la balle est dans le camp des éco-organismes pour la composition de ce comité, qui doit uniquement être « établie dans des conditions transparentes et non discriminatoires »13. Une présence à ce comité pourrait être un autre enjeu stratégique pour la filière du réemploi des PMCB. 

5. Les autres points à retenir (éco-modulation sur la réemployabilité, absence de fonds de financement du réemploi…)

Le cahier des charges ne prévoit pas, à ce stade, d’obligation pour les éco-organismes de fixer une éco-modulation14 pour favoriser la conception de produits et équipements réemployables15

Toutefois, il prévoit : 

  • que l’éco-organisme peut de son chef décider de prévoir des primes et des pénalités liées à la « réemployabilité » des produits et matériaux ; 
  • que l’éco-organisme doit réaliser une étude d’ici le 1er juillet 2023 (encore une !)16, pour identifier les freins techniques, économiques et assurantiels au réemploi et à la réutilisation des PMCB ainsi que les leviers d’actions et perspectives d’évolution, et en fonction des résultats, proposer des primes et pénalités associées notamment au critère de réemployabilité des PMCB, pour une application de ces éco-modulations à compter du 1er janvier 2024. 

Deux autres points à noter : 

  • Il n’y a pas de fonds dédié au financement du réemploi (point regrettable et contestable selon nous)17 ;  

Conformément à la loi, le cahier des charges prévoit la reprise gratuite des déchets de PMCB détenus par les opérateurs du réemploi et de la réutilisation18. En l’occurrence ce dispositif n’est que peu intéressant dans le cas de la filière réemploi des PMCB pour laquelle ce n’est pas un enjeu à l’instar des filières textiles par exemple. En effet, le tri s’effectue sur le chantier et non sur des sites exploités par les acteurs du réemploi19. Ces acteurs collectent donc et ne détiennent ensuite que des matériaux réemployables, et ont donc très peu de rebus sur le site.


Notes :

  1. Prévue par l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement pour la mise en œuvre du principe de participation du public aux décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement prévu à l’article 7 de la Charte de l’environnement.
  2.  D’ailleurs si le texte venait à trop évoluer après la consultation du public (modification substantielle), une nouvelle consultation serait obligatoire, rajoutant des délais avant la publication et l’entrée en vigueur du dispositif.
  3.  L’article L. 541-10 du code de l’environnement prévoit en effet que le cahier des charges « lorsque la nature des produits le justifie, fixe des objectifs distincts (…) de réemploi », sachant qu’en l’occurrence, force est de constater qu’un grand nombre de PMCB sont réemployables.
  4. Catégories définies à l’Article R543-289 code de l’environnement.
  5.  Art. L541-9-6 du code de l’environnement.
  6.  Art. 4.1 du projet de cahier des charges.
  7.  Art. 4.4 du projet de cahier des charges.
  8.  Art. 4.3 du projet de cahier des charges.
  9.  Article L541-10 du code de l’environnement.
  10.  Art. D. 541-90 du code de l’environnement.
  11.  Art. D. 541-91 du code de l’environnement. Le mandat des membres du Comité est de trois ans ou de la durée de l’agrément lorsque celle-ci est plus courte. Le mandat est renouvelable.
  12.  Art. 3.6 du projet de cahier des charges.
  13.  Sachant que la composition et le mandat de ce comité sont présentés pour avis au comité des parties prenantes.
  14.  Art. L541-10-3 du code de l’environnement : les éco
  15.  Art. 2.1.1 du projet de cahier des charges.
  16.  Art. 2.1.2 du projet de cahier des charges.
  17.  Art.L541-10-5 du code de l’environnement.
  18.  Art. 3.5 du projet de cahier des charges.
  19.  Conformément à l’article L. 541-4-4 du code de l’environnement.


À propos de l’auteure :

Elisabeth Gelot est avocate chez SKOV Avocats. Elle intervient en droit de l’environnement et plus particulièrement en matière d’économie circulaire.

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