Savez-vous ce qu’est un « mensonge blanc » ? C’est un mensonge qui ne cause pas de torts significatifs. Grosso modo, c’est un peu comme un placebo : au pire il ne fait rien de mal, au mieux il fait beaucoup de bien. Alors pourquoi s’en priver ?
Au même titre que la vie des affaires ou la sphère familiale, le monde du droit appelle son lot de mensonges blancs. Généralement ils poursuivent une utilité politique.
L’un des plus inoffensifs et inspirants mensonge blanc de la loi relative à la transition énergétique, c’est l’objectif de 70% de valorisation des déchets de chantier à l’horizon 20201.
En effet, bon nombre d’acteurs du BTP ont vu dans cet objectif une outil afin de généraliser les diagnostics démolition et les chantiers de déconstruction sélective, ou de favoriser le développement des filières de recyclage ou de réemploi des matériaux.
Or il n’en est rien, car cet objectif n’est aucunement contraignant.
1. Quand un texte légal a la valeur d’un discours de campagne (la magie du droit)
Ne vous laissez pas berner : bien que l’objectif de valorisation de 70 % des déchets du BTP soit inscrit dans une loi et dans un code, il n’a aucune portée normative.
En effet, juridiquement, ce type de texte n’est que « programmatique »2. Il exprime une volonté politique, et c’est tout.
S’agissant ainsi de l’article 1 de la loi relative à la transition énergétique qui fixent les objectifs quantitatifs de la politique énergétique de l’État (notamment la réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2025), le Conseil constitutionnel a bien rappelé que ces objectifs entrent dans la catégorie des lois de programmation, et sont dénués de portée normative3.
Donc pour faire une comparaison simplificatrice : l’objectif de 70 % de valorisation des déchets du BTP prévu par la loi et le code de l’environnement est, du point de vue de sa force obligatoire, plus proche d’un discours de campagne que de l’interdiction de tuer.
2. Pas d’obligation de le respecter pour chaque chantier, ni de sanction si l’État le contredit
Les maîtres d’ouvrage privés ne sont donc pas tenus de contribuer à cette objectif dans le cadre de leur chantier : aucune sanction si le taux de valorisation des déchets d’un chantier est bien inférieur à 70 % (voire est égal à 0).
Il n’est pas non plus possible de faire annuler les marchés publics de travaux au motif qu’ils ne prévoiraient pas d’atteindre cet objectif.
Et enfin, il n’est pas non plus possible de sanctionner le non-respect de cet objectif dans les actes réglementaires pris par le gouvernement. Par exemple, si le gouvernement venait à créer un régime de responsabilité élargie du producteur pour la filière du BTP4, il ne serait pas possible de faire annuler le cahier des charges de l’éco-organisme en charge des déchets du BTP parce qu’il serait contraire à cet objectif quantifié de valorisation5.
En conclusion, si cet objectif légal n’a pas de valeur contraignante, il est utile car il offre un référentiel pour les acteurs de la construction et de la démolition qui souhaitent prescrire des taux de valorisation pour les déchets de leur chantier. Un vrai mensonge blanc qui peut faire du bien !
Enfin, sachez que si l’objectif prévu dans la loi relative à la transition énergétique n’est pas contraignant pour les maîtres d’ouvrages privés et publics, l’objectif européen de valorisation matière de 70% des déchets de construction et de démolition6 est, quant à lui, opposable à l’État français par l’Union européenne7.
1. Cet objectif est fixé par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), et figure désormais à l’article L. 541-1 du code de l’environnement : « La politique nationale de prévention et de gestion des déchets est un levier essentiel de la transition vers une économie circulaire. Ses objectifs, adoptés de manière à respecter la hiérarchie des modes de traitement des déchets définie au II, sont les suivants : […] Valoriser sous forme de matière 70 % des déchets du secteur du bâtiment et des travaux publics en 2020 ».
2. Article 34 de la Constitution « Des lois de programme déterminent les objectifs de l’action économique et sociale de l’État ».
4. Comme le préconise le rapport de Jacques Vernier sur les filières REP de mars 2018.
5. Pour un exemple s’agissant du cahier des charges de l’éco-organisme chargé des déchets d’emballage et contraire à l’objectif légal quantifié de recyclage des déchets d’emballages : CAA Paris, 9 février 2017, n°15PA01411.
7. Les objectifs fixés par les directives européennes sont contraignants pour les États (art. 288 du traité de fonctionnement sur l’Union européenne). La Commission européenne peut décider au cas par cas d’engager une procédure d’infraction si un État membre ne respecte pas un de ces objectifs. En pratique, cela reste assez exceptionnel, et ce n’est pas encore arrivé s’agissant des objectifs prévus par la directive Déchets.
À propos de l’auteur :
Elisabeth Gelot est avocate chez SKOV Avocats. Elle intervient en droit de l’environnement et plus particulièrement en matière d’économie circulaire.
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