Un nouveau bâtiment démonstrateur du réemploi dans le 20e arrondissement de Paris

Visite du bâtiment “Envie Le Labo”

Par Hannah Höfte

Difficile de ne pas remarquer ce bâtiment récemment construit au cœur du quartier Ménilmontant à Paris. C’est “Envie Le Labo”, lieu manifeste porté par la Fédération Envie, qui ouvrira ses portes au public ce lundi 15 mars 2021.

Visite.

Un bâtiment en cohérence avec les valeurs de son maître d’ouvrage

La Fédération Envie est un acteur associatif spécialisé depuis 1984 dans l’insertion professionnelle par l’économie circulaire. Son activité consiste à collecter, trier, réparer et vendre des appareils électriques, électroniques et électroménagers. 

Son nouveau bâtiment a plusieurs ambitions : 

– accueillir le siège de la Fédération Envie,

– proposer un espace de démonstration des appareils reconditionnés dans un magasin de 100 m² ouvert sur la rue, ainsi qu’un atelier de réparation,

– sensibiliser les usagers aux questions de réemploi, réutilisation et réparation par des ateliers pédagogiques dans un espace d’animation et par… le bâtiment lui-même !

En effet, la démarche que l’association développe dans son activité a naturellement été transcrite dans la conception et la construction du bâtiment, avec des objectifs importants de réduction des matériaux neufs fixés dès le début du projet.

La façade sur la rue Julien Lacroix, calepinée selon les fins de stock de bois de l’entreprise

Au RDC, l’espace de magasin et l’atelier de réparation

Réemploi et réutilisation à l’honneur

Dès le lancement du projet, la Fédération Envie avait l’ambition de réaliser un bâtiment frugal, en termes de moyens et de matériaux mais aussi en terme économique, étant donné qu’elle disposait d’un budget limité. Cette recherche de réduction de matière et de coûts a ainsi motivé le choix de finitions brutes (gaines techniques et parpaings apparents, absence de faux plafonds ou de plinthes…) et de matériaux de réemploi.

Pour ce projet engagé, la Fédération Envie s’est entourée de l’agence d’architecture Urban-Act pour la conception générale du bâtiment, du Studio Idaë pour l’aménagement intérieur, de l’entreprise générale UTB pour les travaux de construction et du bureau de contrôle Apave. 

En phase conception, l’équipe de maîtrise d’œuvre a effectué un important travail de prospection pour déterminer les éléments du projet qui pourraient être réalisés en réemploi. Elle a ainsi listé dans les CCTP (Cahier des clauses techniques particulières, qui constitue le descriptif détaillé des travaux à réaliser par l’entreprise) les matériaux qui pouvaient ou devaient être fournis en réemploi par l’entreprise générale. En phase chantier, cette liste a été affinée en fonction des fins de stock de l’entreprise générale et du sourcing de matériaux disponibles à ce moment-là.

Par le recours au réemploi et à des invendus, c’est près de 13 tonnes d’éléments neufs qui ont été évitées (D’après le bilan de circularité réalisé par le bureau d’études Evea pour la Fédération Envie, en mesurant le taux de réemploi du projet par type de matériaux en comparaison d’un scénario standard 100% neuf), notamment :

  • Le bardage extérieur, issu d’une fin de stock de l’entreprise générale. Les façades ont ainsi été redessinées à partir des essences et des dimensions des éléments disponibles;
  • La cloison séparative bureau-magasin réalisée avec 39 hublots de machines à laver, des anciennes fenêtres et des poutres en chêne de 1910, conçue par l’agence Urban-act et fabriquée dans sa menuiserie “La remanufacture” ;
  • Des moquettes provenant de fin de stock de l’entreprise “Interface” ;
  • Des WC et appareils sanitaires issus de l’ancienne école centrale à Chatenay-Malabry (fournis par l’association Réavie) ; 
  • Des carrelages et faïences issus de fin de stock ;
  • Des cloisons vitrées formées de fenêtres de réemploi ;
  • Des radiateurs de seconde main ;
  • Des briques issues d’une déconstruction à Aubervilliers, trouvées via la plateforme Cycle-Up ;
  • De nombreux éléments de mobiliers récupérés via des réseaux associatifs comme Emmaüs.

Tous ces éléments sont mis en avant dans un parcours pédagogique au travers du bâtiment, par des étiquettes et une signalétique soignées, faisant du bâtiment un réel support de communication de la démarche de l’association Envie.

La cloison faite de bois de réemploi et de hublots de machines à laver

Plusieurs panneaux présentent aux visiteurs les éléments spécifiques du projet

Le second-oeuvre, une opportunité de réemploi

Tous les éléments qui ont pu être réalisés en réemploi sont des éléments de second œuvre et d’aménagement intérieur. La structure bois du bâtiment, le clos-couvert (couverture, menuiseries extérieures…) ainsi que les éléments liés à la sécurité incendie (portes coupe-feu…) sont quant à eux constitués de matériaux neufs. En effet, ces éléments étant plus contraints d’un point de vue structurel, réglementaire et assurantiel, les réaliser en réemploi aurait sans doute nécessité un travail plus approfondi d’un acteur spécialisé sur le sujet du réemploi, tel qu’un AMO (Assistant à maîtrise d’ouvrage) réemploi et la collaboration avec un bureau de contrôle averti sur le sujet.

Ainsi, se concentrer sur le second-oeuvre, qui constitue déjà une grande quantité de matériaux, a permis de limiter les prises de risques, les impasses normatives mais aussi le temps passé et donc les coûts, tout en poussant fortement la démarche réemploi sur l’aménagement intérieur.

Une implication forte de la maîtrise d’ouvrage

Dénicher tous ces matériaux de réemploi au bon moment du chantier a demandé un important travail de sourcing et de coordination, nécessaire à toute initiative de réemploi. Aucun partenaire du projet n’ayant été spécifiquement chargé des tâches liées au réemploi (comme cela aurait pu être fait en intégrant un AMO réemploi à l’équipe ou en créant un lot réemploi dans les marchés d’entreprises), ce travail a nécessité une implication importante de la maîtrise d’ouvrage elle-même. Nesrine Dani, responsable du projet chez Envie, a ainsi passé un temps significatif à explorer différentes pistes de gisements (fin de stock, déconstruction, ressourceries, plateformes en ligne…) et à coordonner leur livraison sur chantier. 

Adaptation des pratiques

Enfin, comme souvent dans les projets mettant en jeu du réemploi, le dialogue avec les différents acteurs du projet s’est trouvé primordial.

Les échanges ont notamment été nombreux avec le contrôleur technique. Ce dernier, peu habitué au réemploi, a émis des réticences lorsque le système normatif classique s’est trouvé peu adapté aux solutions proposées en réemploi. Ses pratiques semblent avoir néanmoins évolué au cours du chantier puisque la cloison en hublots sur laquelle il était initialement défavorable a finalement été validée sans test technique particulier.

Un important travail de pédagogie de la part de la maîtrise d’ouvrage a également été nécessaire pour faire évoluer les pratiques professionnelles de l’entreprise générale. Cette dernière, pour qui ce type de chantier était une nouveauté, a dû dépasser ses préconçus initiaux pour adapter ses pratiques à la démarche engagée de la maîtrise d’ouvrage.

Le bar a été réalisé en briques d’un bâtiment déconstruit à St-Ouen.

Moquette et mobilier de bureaux sont également de seconde main

En conclusion

Envie Le Labo s’inscrit ainsi dans la lignée des bâtiments démonstrateurs du réemploi. Il démontre qu’au moins 50% ( En masse, d’après le bilan de circularité) des matériaux de second œuvre d’un bâtiment de ce type peuvent aujourd’hui être fournis en réemploi sans obstacle réglementaire, assurantielle ou économique, bien que nécessitant des études complémentaires et donc un temps certain. Il démontre également qu’un projet de construction peut tout à fait s’adapter à la ressource existante et disponible localement, que ce soit d’un point de vue humain, par l’évolution des pratiques professionnelles, comme d’un point de vue architectural, par la nouvelle esthétique qu’il propose.

En bref

MOA : Fédération Envie
MOE : Urban-act architectes, MAYA BET Fluides, BIIC BET structure
Aménagement intérieur : Studio Idaë
Entreprise générale : UTB
Bureau de contrôle : Apave
Budget : 2 M€ TTC (y compris aménagements intérieurs)
Surface : 560 m²
Livraison : 2020


À-propos de l’autrice :

Hannah Höfte a obtenu son diplôme d’état en architecture à l’ENSA Paris Malaquais en juin 2019 en présentant un PFE autour du réemploi de matériaux, faisant suite au chantier de déconstruction sélective “déconstruisons” qu’elle a organisé sur sa maison d’enfance en octobre 2018.

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Visite du bâtiment “Envie Le Labo”

Par Hannah Höfte

  1. ISOPAILLE utilise pour isoler ses structures bois 100% du blé en réemploi. En effet la plante sert à faire le pain ou nourrir le bétail par la graine, et les tiges qui ont servi à porter ces grains de blé sont la paille qui isole logements, bureaux, ou ERP. Et elle est disponible en quantité formidable, durablement, sans risque spéculatif.
    C’est toute la force de ce réemploi pour l’isolation !

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