Aménager un lieu en réemploi : le retour d’expérience de la Maison du Zéro Déchet

La Maison du Zéro Déchet vient de déménager dans l’ancienne Caserne de Reuilly (Paris 12ème). Livrés en “coque vide”, les locaux ont été aménagés en grande partie en réemploi. Nous vous livrons ici un retour d’expérience, truffé de conseils, pour vous accompagner dans l’application d’une démarche de réduction des déchets sur un chantier.

Le secteur du BTP est le premier producteur de déchets en France : selon l’Ademe, 81% des déchets produits sur le territoire national sont générés par les activités du BTP. L’équipe de la Maison du Zéro Déchet et de Zero Waste France, après avoir montré qu’il était possible de réduire les déchets dans le secteur de l’événementiel (avec deux éditions du Festival Zero Waste), s’est donc frottée au secteur de la construction. Pour notre nouveau local partagé, nous avons cherché à réduire un maximum les déchets. Pas de démolition ni de gravats au programme, mais un besoin de matériaux variés : revêtements de sol, câbles et réseaux, luminaires, radiateurs… Si certains éléments n’ont pas pu être trouvés en réemploi (pour des raisons de calendrier, de quantités ou de logistique), nous avons réussi à sourcer un maximum de matériaux et avons beaucoup appris de cette expérience.

Le plancher de réemploi avant d’être posé © Arthur Pilon
Quelques chiffres clés du réemploi sur notre chantier
  • 300 m² de parquet réemployé, 

  • 30 m linéaires de cloisons vitrées en réemploi

  • 20 éclairages de sécurité (BAES) en réemploi

  • 8 m² de carrelage provenant de fin de chantier

  • 55 luminaires de seconde main

  • 4 radiateurs en réemploi
Court lexique du réemploi

Réemploi : « utiliser de nouveau » des matériaux ou éléments de construction issus de déconstruction pour un usage identique à celui d’origine.

Sourcing : recherche de matériaux de réemploi.

Déposer : débâtir les matériaux de telle sorte qu’ils puissent être réemployables.

Gisement : chantier sur lequel il est possible d’aller récupérer des matériaux.

Inscrire le réemploi dans l’ADN du chantier

Condition sine qua non de succès : que l’ensemble des parties prenantes sur le chantier partage les objectifs de réemploi. Que le maître d’ouvrage impulse cette démarche, en tant que financeur et commanditaire du projet, est important, mais que la vision soit partagée avec les architectes et entreprises en charge du chantier est indispensable. Il est important d’inscrire cette vision sur papier dès le lancement de la consultation pour la réalisation des travaux, voire même d’en faire une condition à respecter par l’entreprise choisie. Guillaume Nicolas, l’architecte qui a travaillé sur le projet, a ainsi inscrit cette volonté de réemploi au sein même du CCAP (cahier des clauses techniques et particulière), et rédigé une lettre d’engagement précisant cet impératif de réemploi, à faire signer à l’entreprise choisie. L’entreprise s’est ainsi engagée à privilégier les matériaux en réemploi sourcés par le maître d’ouvrage par rapport à des matériaux neufs. Une incitation financière peut également être écrite (faire en sorte que la réduction des coûts liés au don de matériaux bénéficie à l’entreprise), mais il faut garder en tête que le réemploi ne permet que rarement de faire des économies sur un chantier : les matériaux sourcés sont souvent moins chers voire gratuits, mais nécessitent d’être retravaillés (découpe, ponçage…) ou impliquent une logistique parfois plus complexe, voire même davantage consommatrice en énergie (plus d’allers-retours) que des matériaux neufs.

Au-delà de ces moyens contractuels, il est central d’échanger régulièrement avec l’entreprise générale sur ce sujet du réemploi, pour comprendre ce qu’elle est prête à investir en temps, en main d’oeuvre et en logistique (généralement plus complexe que d’aller chez un seul fournisseur). Nous avons eu la chance de travailler avec une entreprise générale de bâtiment, Yegros SARL, déjà très sensibilisée à la question du réemploi, l’appliquant déjà sous forme de bon sens (ne pas gâcher ce qui pourra être utile plus tard). Cette entreprise a compris dès le début du chantier notre souhait de faire un maximum de réemploi et a été à la fois force de proposition sur le sujet et d’adaptation pour trouver des solutions à partir des matériaux sourcés. 

Identifier ses besoins

Avant de se lancer, pour trouver des matériaux de réemploi, il convient de lister très précisément ses besoins. Cela peut sembler évident, mais nécessite d’entrer dans un degré de détail très précis : quantités (mètres carrés, linéaires…), dimensions exactes, matériau idéal et matériaux envisageables en deuxième ou troisième option. Cette liste exhaustive doit se construire directement avec l’entreprise générale en charge des travaux, pour comprendre au mieux les besoins en matériaux, et surtout les paramètres qui restent flexibles, qui peuvent s’adapter aux matériaux que l’on va trouver. Nous avons par exemple trouvé plusieurs gisements de parquet en grande quantité, mais de qualité inégale, de prix variables, et d’épaisseurs très spécifiques. Alors que nous cherchions un parquet d’une épaisseur de 12mm, nous avons eu l’opportunité (via un don) de récupérer un parquet de chêne massif de 20mm d’épaisseur. Au vu de sa qualité, notre entreprise a sauté sur l’occasion et préféré s’adapter à cette épaisseur (et la diminuer via un fort ponçage, en tout les cas nécessaire pour enlever les nombreuses traces d’usure de ce parquet de récupération).

Notre conseil : avant même le lancement du chantier, prendre une demi-journée avec l’entreprise générale en charge des travaux pour lister précisément les besoins en matériaux, et définir avec elle des échéances précises. Si l’on ne parvient pas à trouver tel matériau en réemploi avant telle date, l’entreprise pourra le commander neuf et éviter ainsi les retards de chantier.

Le chantier. Au plafond, des luminaires de réemploi © Arthur Pilon

Hiérarchiser les matériaux sur lesquels se concentrer

Si l’on choisit de réaliser soi-même le sourcing des matériaux, sans avoir une expérience dans le secteur du BTP ou du réemploi (comme nous l’avons fait), il est important de définir des priorités sur lesquelles se concentrer. Sourcer l’intégralité des matériaux d’un chantier en réemploi est possible, mais très chronophage et coûteux en énergie. 

Nous avons donc choisi de cibler certains matériaux clés :

  • les matériaux nombreux et facilement disponibles en réemploi : parquet, luminaires… Généralement faciles à réemployer et/ou peu coûteux à déposer, on les trouve sur les plateforme en ligne de réemploi ou d’occasion auprès de particuliers. 
  • les matériaux dont on avait besoin en certaine quantité : cela ne vaut pas la peine de se déplacer pour 2 plaques de carreaux de plâtres, ou seulement 30 mètres linéaires de câbles électriques s’il vous en faut 10 fois plus. Il s’agit donc d’identifier les matériaux dont les quantités valent le déplacement (coût en énergie, temps, main d’oeuvre) et restent faciles à trouver. Au tout début de notre sourcing, nous recherchions du carrelage en réemploi : nous avons vite compris que de grandes quantités seraient impossibles à trouver (un carrelage n’étant pas déposé mais détruit) et que seuls des surplus de chantier (de 1 à 8 mètres carrés environ, maximum) seraient disponibles. Nous avons donc choisi d’utiliser de tels surplus pour les petits espaces (sanitaires) et de compléter par l’achat de carrelage neuf pour les plus grandes surfaces. 

Communiquer largement dans ses réseaux

Pour sourcer des matériaux de réemploi, plusieurs solutions existent : 

  • Les plateformes spécialisées (de type Cycle up, Backacia, Mineka…). Dédiées au réemploi de matériaux et parfois de mobilier, ces plateformes recensent des gisements en fonction des chantiers avec lesquels elles travaillent. Il est intéressant de les consulter régulièrement, mais aussi de les contacter directement et de leur transmettre une liste précise des matériaux recherchés. Elle vous proposeront ainsi des matériaux ciblés ou vous préviendront de la mise en ligne prochaine de nouveaux gisements. Attention, certaines plateformes recensent des gisements sur toute la France, d’autres sont plus locales.
  • Les groupes spécialisés dans le réemploi sur les réseaux sociaux (Facebook, LinkedIn…) : composés de professionnels ou de particuliers, ces groupes permettent de partager des bons plans, matériaux à récupérer, etc. Ne pas hésiter à y partager ses besoins. 
  • Les plateformes de dons ou de seconde main entre particuliers : pour des besoins plus ponctuels (faibles quantités) ou pour le mobilier, ces plateformes plus connues (Geev, Le bon coin…) peuvent être utiles.
  • Votre réseau local : contacter les acteurs locaux du réemploi (associations locales, de type Réa-Vie à Anthony, Emmaüs à Paris…) peut permettre de trouver des bons plans. Pour la création de meubles sur mesure pour notre boutique, l’association Extramuros a ainsi réussi à réemployer du bois sourcé directement sur le site de la Caserne de Reuilly, et provenant des anciens rangements de certains locaux.

Notre conseil : lancer un appel à matériaux (site internet, réseaux sociaux…) pour faire fonctionner le bouche à oreille. C’est grâce à notre appel à matériaux, lancé en février 2020, que nous avons été directement contactés par les cabinets d’architecture en charge de la dépose de gros chantiers parisiens. Les cloisons vitrées, poignées de portes, vasques ou encore BAES de la Maison du Zéro Déchet proviennent ainsi d’un même chantier de déconstruction, par lequel nous avions été contactés. 

Carrelages de réemploi au sous-sol. © Arthur Pilon

Rester flexible et faire preuve d’imagination

Le réemploi implique nécessairement de faire preuve de flexibilité sur le chantier : il s’agit parfois de faire évoluer ses besoins et/ou son calendrier. Les calendrier des chantiers où sont déposés les matériaux ont en effet leurs propres contraintes et coïncident rarement avec le nôtre. Le principal frein au réemploi est celui-ci : trouver les bons matériaux disponibles au bon moment. S’il vous est possible de stocker en amont du chantier, n’hésitez pas à commencer le sourcing le plus tôt possible, mais il faut pour cela que les travaux soient déjà programmés et les besoins cernés. 

L’adaptabilité requiert aussi de faire preuve d’imagination lorsque les matériaux récupérés ne conviennent finalement pas (les erreurs sont possibles !). Nous avons par exemple récupéré 20 éclairages de sécurité (BAES) sur un chantier, mais ceux-ci étaient faits pour s’encastrer dans un faux plafond (ce que nous n’avions pas). Qu’à cela ne tienne, notre électricien a proposé une solution pour les accrocher directement sur les chemins de câbles visibles au plafond, en bricolant un système maison qui soit à la fois solide et facile à retirer (pour des questions de maintenance). 

Pour dresser un bilan de notre expérience de réemploi, il faut insister sur les quantités de matériaux qu’il a été possible de sourcer et d’intégrer au chantier. Chaque pièce témoigne de plusieurs matériaux réemployés, bien que leur origine soit rarement visible au regard du travail de qualité fait à partir de ces matériaux. Il est ainsi possible de faire du réemploi sur un chantier, de manière quasiment “invisible” comparativement à du neuf. Le temps investi en interne sur le sourcing s’est également révélé utile pour l’intégralité du suivi de chantier, nous permettant d’aller plus loin que le rôle du simple commanditaire. Sur le plan financier, si des économies ont été réalisées sur l’achat brut des matériaux réemployés, elles ont été réinvesties en main d’oeuvre pour les retravailler. Le réemploi permet ainsi de répartir différemment les coûts liés au chantier, et de privilégier le coût de main d’oeuvre sur celui des matériaux.

Cette démarche de réemploi s’est aussi appliquée à l’intégralité du mobilier de la nouvelle Maison du Zéro Déchet : notre retour d’expérience sur ce point est à découvrir très bientôt en ligne !


Pour aller plus loin

Le MOOC (cours en ligne) “Réemploi : matières à bâtir” réalisé par l’ICEB et disponible sur la plateforme Mooc Bâtiment Durable.

L’article “Matériaux de construction : le réemploi, mode d’emploi !”, d’Elizabeth Gelot et Morgan Moinet publié en mars 2020.


À propos de l’autrice

Pauline Debrabandere est chargée de projets au sein de l’association Zero Waste France, qui lutte pour la réduction des déchets et la préservation des ressources, et a eu pour mission le suivi de chantier et le sourcing des matériaux de réemploi pour l’aménagement de la Maison du Zéro Déchet, lieu associatif dédié aux démarches zéro déchet, zéro gaspillage.

Laisser un commentaire