Quelle responsabilité pour les donateurs en cas de réemploi des matériaux ? – Elisabeth Gelot

Vous êtes un artisan, un maître d’ouvrage, une association ou un individu souhaitant donner des matériaux afin qu’ils soient réemployés (par exemple du mobilier issu d’un chantier de déconstruction, ou des dalles de faux plancher issues d’un surplus de chantier).

Dans votre élan de générosité et votre désir de contribuer à l’économie circulaire, vous vous interrogez sur l’étendue de votre responsabilité : quand peut-elle être engagée dans le cadre du réemploi et à quel titre ?

La réponse en 5 points.

  1. Vous n’êtes pas responsable au titre du code de l’environnement

Les producteurs et détenteurs de déchets sont responsables des déchets qu’ils produisent ou qu’ils ont en leur possession1. Il s’agit d’une responsabilité administrative et financière, qui entraîne notamment le cas échéant l’obligation de tenir à jour un registre de suivi des déchets que vous produisez 2.

Bonne nouvelle, dès lors que vous faites du réemploi, l’objet en question n’est pas un déchet puisqu’il s’agit d’une opération de préventiondes déchets ! Par conséquent vous échappez à la responsabilité prévue au titre du code de l’environnement.

Vérifiez avec rigueur que vous vous inscrivez dans le cadre du réemploi et que le matériau donné échappe au statut de déchet. A ce sujet, vous pouvez lire l’article Les critères juridiques du réemploi – Comment éviter le statut de déchet ?.

  1. Vous n’êtes pas responsable en tant qu’ancien propriétaire

La personne qui est le gardien d’une chose est responsable des dommages que celle-ci pourrait causer à autrui ou aux biens d’autrui3.

Dès lors que vous n’êtes plus l’actuel propriétaire du matériau réemployé et que vous n’avez ni l’usage, ni le contrôle, ni la direction de ce dernier, vous n’êtes a priori pas responsable des dommages qu’il pourrait causer.

Néanmoins, le juge distingue dans certains cas (essentiellement pour les objets présentant une certaine dangerosité, comme un groupe frigorifique ou du matériel électrique par exemple) deux types de gardiens :

  • le gardien de la structure (la personne qui a fabriqué l’objet),

  • le gardien du comportement (la personne qui utilise l’objet).

A ce titre, la vigilance s’impose dans les cas où vous donnez un objet que vous avez fabriqué de toute pièce ou modifié en profondeur. Si le dommage est directement dû à la structure de l’objet, il n’est pas tout à fait exclu que vous puissiez être regardé comme responsable.

Cas pratique (pour vérifier si vous avez bien compris) :

  • Un escalier en bois (menuiserie, matériaux non dangereux) est très légèrement modifié lors de sa dépose. Ultérieurement, après sa mise en œuvre dans un nouveau bâtiment, une des marches cède sous le poids d’un des résidents qui se blesse. La responsabilité du donateur n’est pas engagée.

  • Un groupe frigorifique (matériau pouvant être qualifié par le juge de dangereux) qui a été modifié substantiellement par le donateur (qui a démonté un vieux groupe, récupéré des pièces dans des déchetteries, remonté et nettoyé le tout). Ultérieurement, un installateur intervenant dans le respect des règles de sécurité est victime d’un accident causé par le groupe frigorifique. La responsabilité du donateur peut être recherchée.

  1. Vous n’êtes pas responsable comme le serait un vendeur

Le droit fait peser sur le vendeur professionnel certaines obligations, notamment d’information et de garantie. Cela paraît équitable, lorsque la relation fait intervenir un sachant et un profane.

Lorsque vous donnez des matériaux en vue du réemploi, vous n’êtes en revanche tenu ni d’une obligation d’information, ni d’une obligation de garantie. Cela paraît également équitable, dans la mesure où vous n’êtes pas censé être en présence de toutes ces informations et que vous n’êtes pas en mesure de garantir personnellement le produit.

Bonne pratique : s’il s’agit de matériaux en série (des tables de bureaux par exemple) ou nécessitant des précautions d’usage (CVC ou électricité par exemple), fournissez toute la documentation relative à ces matériaux que vous possédez au donataire (documentation technique telle que mode d’emploi, fiche technique, garantie, etc).

  1. Vous n’êtes pas responsable au titre de la législation sur les produits défectueux

Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’il soit ou non lié par un contrat avec la victime4.

Vous seriez producteur si vous étiez un professionnel qui a fabriqué le produit et l’a mis en circulation initialement.

Là encore, dans le cadre du don de matériaux de réemploi, vous n’êtes pas producteur dès lors que vous avez acheté les matériaux en question. Vous ne pourrez donc pas voir votre responsabilité engagée si le matériau donné et réemployé porte ultérieurement atteinte à une personne, ou s’il endommage gravement un bien.

Lorsque le producteur ne peut être identifié, la responsabilité de tout professionnel qui fournit un produit peut également être recherchée, à charge pour lui de désigner le producteur pour s’exonérer 5. A noter qu’a priori la notion de fournisseur exclut les opérations de don.

Bonne pratique : si vous connaissez l’identité du producteur ou de celui qui vous a fourni le produit initialement, transmettez ces informations à votre donataire.6

  1. En conclusion vous n’êtes éventuellement responsable que si vous donnez à réemployer des matériaux que vous avez fabriqués ou substantiellement modifiés

Si vous souhaitez éviter tout risque d’engagement de votre responsabilité, ne donnez pas de matériaux que vous avez fabriqués ou que vous avez modifiés substantiellement. Vous risqueriez d’être regardé comme le gardien de la structure de ces derniers.

Pour finir, n’oubliez pas les précautions à prendre lorsque vous donnez des matériaux en vue de leur réemploi afin que votre responsabilité ne puisse être recherchée :

– donnez toutes les informations et documentation dont vous disposez au donataire, surtout s’il s’agit de produits nécessitant des précautions d’usage (CVC par exemple),

– n’hésitez pas à faire signer une quittance par l’organisme donataire à la livraison des matériaux réemployables, constatant que ces derniers sont en bon état et actant le transfert effectif de propriété (qui, en principe, dans le cadre d’un don manuel, s’effectue lors de la remise des matériaux).

Bonne pratique : cette quittance doit indiquer la nature du ou des matériaux donnés, leur valeur actuelle, et le jour où le don est effectué. Il doit permettre de constater le consentement du donateur et du donataire sans aucune réserve.


6. A noter qu’un produit est dit « défectueux » lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre compte tenu de toutes les circonstances et notamment du moment de la mise en circulation du produit (pour les matériaux de réemploi, dans de nombreux cas, l’ancienneté des produits pourrait exclure la recherche d’un responsable au titre des produits défectueuxarticle 1245-3 du code civil). On précisera en outre qu’aucune action au titre des produits défectueux ne peut être engagée en principe 10 ans après la mise en circulation du produit, ce qui limite aussi bon nombre de recours sur ce fondement s’agissant des matériaux issus de la déconstruction (article 1245-15 du code civil).


À propos de l’auteur :

Elisabeth Gelot est avocate chez SKOV Avocats. Elle intervient en droit de l’environnement et plus particulièrement en matière d’économie circulaire.

7 replies on “ Quelle responsabilité pour les donateurs en cas de réemploi des matériaux ? – Elisabeth Gelot ”
  1. bonjour, vous écrivez ci-dessus « Vous n’êtes pas responsable comme le serait un vendeur. »
    est-ce à dire que si vous êtes une structure type ressourcerie, s’il y a vente, et quelque soit le prix, vous êtes responsable ?
    Pour reprendre l’exemple de l’escalier s’il a été vendu à un particulier qui le pose lui-même, c’est la ressourcerie qui est responsable ; s’il a été posé par un artisan ou une structure X moyennant finance c’est l’artisan ou la structure qui est responsable ?

    1. rebonjour, en fait j’ai eu ma réponse dans un autre article !!
      responsabilité en cas de vente de matériaux de construction issus du réemploi ? 20 mars 2018

  2. Bonjour, dans le cas de présence de plomb sur des parties du produit (ex; peinture des ferrures de volets anciens) comment le donateur peut-il s’assurer du traitement ou de la dépose de la partie défectueuse ? quelle est la responsabilité du donateur et du donataire? par avance merci

    1. Bonjour,

      Les questions liées au problématiques de pollution au plomb sont complexes et il n’est pas simple d’y répondre ainsi. Le droit français est précis sur les modalités de gestion des déchets pollués au plomb et nous ne pouvons que vous conseiller de vous y conformer strictement. Les matériaux ainsi pollués doivent systématiquement être pris en charge par des structures spécialisées / agrées pour leur gestion, ce qui les exclus à priori du champ du réemploi.

      Bien à vous,

      1. oui mais… où trouve t on aujourd’hui du matériel ou matériau positif au plomb (>1mg/cm²) ? principalement -et presque toujours- dans les peintures des menuiseries bois « anciennes » (avant 1949, et en sous-couche avant 1993: peinture au minium de plomb, principalement pour les volets)(portes, fenêtres, volets et leur quincaillerie).

        Ci-dessous ce n’est pas une réponse juridique mais d’usage :
        Le plomb est repéré lors du CREP Constat de Risque d’Exposition au https://docs.google.com/spreadsheets/d/1xF4GDQk7YPOi1lwAeUh_IlnUVOIU0uF6I9aMAm6zmhs/edit?pli=1#gid=121264406Plomb, diagnostic obligatoire en cas de vente, ou location d’un bien immobilier. Lors de celui-ci il est constaté un classement de 1 à 3, seul le niveau 3 (dégradé) implique des obligations de travaux.
        (cf annexe 1 alinéa 9 : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?categorieLien=idcidTexte=JORFTEXT000024524952)

        Généralement on trouve aujourd’hui des mesures de niveau 1 sur des menuiseries anciennes qui ont été généralement repeintes plusieurs fois, mais même bien décapées, le plomb a pénétré en profondeur dans le bois. Néanmoins, non visible, non dégradé (ne part ni en écaille, ni en poussière ou ni en plaque), il ne présente pas de risque. Et on peut conseiller de repeindre la menuiserie.
        Comment faire pour une surface ancienne totalement recouverte et que l’on voudrait reprendre ? Ni ponçage (=poussière, nécessiterait masque et vêtement très performant), ni brûlage (=émanation), reste le décapage chimique et reprise de tous les effluents en déchets industriels spéciaux ou le racloir bien aiguisé avec port de bonne protections et récupération précise des plaques et écailles !.
        (quelques indications, page 2 : http://www.driea.ile-defrance.deve
        loppement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/partie_13-B3_cle7b8171.pdf)

        Voici l’usage que je pratique ; maintenant règlementairement si on connait la présence de plomb sur un matériel, qu’il est classé 1 (non dégradé, non visible) ou 2 (état d’usage), donc sans risque de contamination par ingestion ou inhalation, n’est il pas possible de prévenir le donataire qui acceptera (ou non) ce transfert ?

        bien à vous

        (PS j’ai bien conscience de compliquer les choses, mais sinon on peut d’ores et déjà classer dangereuses toutes les menuiseries peintes de plus de 30 à 50 ans)

  3. Bonjour,
    Je me permets de déposer un nouveau commentaire ici, car j’ai des magnifiques structures métalliques type eiffel qui risquent de partir à la benne plutôt qu’en réemploi à cause de ces histoires de plomb…
    Help me please!
    Serait il possible de choisir une méthode d’inertage en appliquant une peinture sur la structure, au lieu de devoir la dépolluer (poncage, sablage ou traitement chimique)?
    Comment cadrer la dépose et repose si on réemploi cette structure ? Avec le csps ?
    Merci pour votre aide
    Amandine

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