L’heure de vérité a sonné : le 30 janvier 2020, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire a été définitivement adoptée.
Comme nous l’avions annoncé, ce texte apporte de nombreuses évolutions s’agissant de la gestion des déchets du BTP, qui vont impacter directement les acteurs du réemploi des matériaux.
Je vous propose de voir dès maintenant en cinq points pourquoi rien ne sera plus comme avant (ou pas tout à fait).
1 – Adieu le Diagnostic Déchets… Bonjour le Diagnostic Produits-Matériaux-Déchets !
Déjà prévue au stade du projet de loi, la réforme du Diagnostic Déchets pourrait permettre d’augmenter considérable le taux de réemploi.
Pour résumé : le diagnostic déchets fusionne en quelque sorte avec les diagnostics ressources qui étaient proposés jusqu’alors contractuellement par les acteurs du réemploi 1 .
La loi prévoit que le nouveau diagnostic doit fournir les informations relatives aux matériaux en vue, en priorité, de leur réemploi, en préconisant les analyses complémentaires permettant de s’assurer de leur caractère réutilisable.
Pourquoi il reste du suspens : un décret d’application va venir préciser un grand nombre de points cruciaux, et notamment :
- Les chantiers concernés par l’obligation de réaliser le diagnostic ;
- Le contenu et les modalités de réalisation du diagnostic ;
- Les garanties de compétences et assurantielles que devront présenter les personnes réalisant le diagnostic (à surveiller de très près).
Une obligation, mais (toujours) pas de sanction : s’il y a bien quelque chose qui ne change pas en revanche, c’est l’absence de sanction venant garantir l’effectivité du dispositif… On espère qu’en dépit de cette carence, ce nouveau diagnostic « obligatoire » mais pas « sanctionné » sera plus réalisé que son prédécesseur !
2 – La fin (ou presque) des incertitudes liées au statut de déchet
Depuis plusieurs années, l’ombre du statut de déchet plane sur les démarches de réemploi… Un grand nombre d’acteurs du réemploi souhaitaient profiter de cette loi pour régler une bonne foi pour toute la situation, qui était jusqu’alors encadrée par la doctrine administrative (ce qui freinait un bon nombre de maîtres d’ouvrage).
La loi met fin au flou artistique en créant un nouvel article L. 541-4-4 dans le code de l’environnement, qui reprend quasi in-extenso la doctrine de la DGPR en matière de réemploi :
« Dans le cadre d’un chantier de réhabilitation ou de démolition de bâtiment, si un tri des matériaux, équipements ou produits de construction est effectué par un opérateur qui a la faculté de contrôler les produits et équipements pouvant être réemployés, les produits et équipements destinés au réemploi ne prennent pas le statut de déchet. »
Pourquoi c’est une demi-solution : l’introduction de ce nouvel article est une bonne nouvelle puisque c’est désormais la loi (et plus seulement l’administration) qui consacre le tri sur le chantier comme critère permettant d’échapper au statut de déchet. En revanche, cet article n’apporte aucune précision sur les qualités et compétences de l’« opérateur ayant la faculté de contrôler » les matériaux, et aucun décret d’application n’est prévu pour préciser cette notion. Ce point suscitait pourtant déjà des interrogations de la filière…
3 – La maîtrise d’ouvrage publique va désormais devoir veiller au recours aux matériaux de réemploi !
On le sait, ces dernières années la déconstruction sélective augmente, et l’offre de matériaux de réemploi avec. Mais la demande pour la mise en œuvre de ces mêmes matériaux, progresse plus lentement.
C’est pour résoudre cette difficulté que la loi relative à l’économie circulaire a modifié le code de l’environnement, afin d’imposer aux personnes publiques de recourir aux matériaux de réemploi.
L’article L. 228-4 du code de l’environnement prévoit désormais :
« Dans le domaine de la construction ou de la rénovation de bâtiments, [la commande publique] prend en compte les exigences de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et de stockage du carbone et veille au recours à des matériaux de réemploi ou issus des ressources renouvelables. »
Pourquoi on espère que ça va faire la différence : la commande publique peut être un levier majeur pour le développement du réemploi. A noter que pour garantir la pleine efficacité de cette nouvelle disposition, un travail de sensibilisation sera probablement nécessaire pour porter l’existence de cette mesure à la connaissance des maîtres d’ouvrage publics. D’autre part, dans la pratique, il sera compliqué de faire annuler un marché qui méconnaîtrait cette obligation 2 .
4 – Le Bâtiment entre dans l’ère de la REP
Sujet (très) sensible qui a donné lieu à débats, la création d’un régime de responsabilité élargie (« REP ») du producteur pour les déchets du bâtiment a finalement été actée 3 .
Le dispositif vise à faire payer une éco-contribution aux fabricants de matériaux et produits de constructions, qui devrait financer l’implantation d’un maillage de points de reprise gratuite des déchets de chantier sur tout le territoire. Pour bénéficier de la reprise gratuite, les déchets devront avoir fait l’objet d’une collecte séparée, avec pour objectif de pouvoir orienter les flux vers les filières de recyclage adéquates (et atteindre l’objectif européen de valorisation de 70% des déchets du BTP).
Pourquoi c’est une mauvaise nouvelle pour le réemploi : jusqu’à aujourd’hui, l’un des arguments économique en faveur du réemploi est l’économie qu’il permet sur les coûts de mise en décharge. Avec cette REP, le réemploi est directement (et durement) concurrencé. Le maître d’ouvrage qui opte pour le réemploi doit supporter les coûts de dépose sélective, de stockage, et trouver des acheteurs. Or à partir du 1er janvier 2022, avec l’entrée en vigueur de la REP, il pourra emprunter une nouvelle voie beaucoup plus simple (et a priori moins onéreuse) : trier sur le chantier les déchets par catégorie 4, puis les déposer gratuitement à un point de reprise situé à proximité !
D’ici 2022 : le Ministère de la transition écologique et solidaire a d’ores et déjà lancé un appel à projets « Réduction, Recyclage et Valorisation des Déchets du Bâtiment », pour anticiper les solutions que pourraient mettre en place la REP (et les innovations en matière de réemploi sont visées).
5 – Vous pouvez exiger de disposer de zones de réemploi dans les déchetteries
Les déchetteries regorgent de matériaux, produits et équipements réemployables. Jusqu’alors, le réemploi y était dépendant des bonnes grâces des collectivités ou de leurs syndicats de gestion des déchets et donc souvent inexistant.
La loi économie circulaire met fin à cette situation, et contraint les collectivités à accepter la création de zones de réemploi en déchetterie, lorsque des associations ou des entreprises de l’ESS intervenant en matière d’économie circulaire en font la demande.
Plus précisément, la loi prévoit que 5 :
- Les collectivités territoriales (et leurs groupements) sont obligés de permettre, par contrat ou par convention, aux personnes morales relevant de l’économie sociale, solidaire et circulaire qui en font la demande d’utiliser les déchetteries communales comme lieux de récupération ponctuelle et de retraitement d’objets et produits en bon état ou réparables ;
- Les déchetteries communales sont quant à elles obligées de prévoir des zones de dépôt destinée aux produits pouvant être réemployés.
Pourquoi est-ce (un peu) décevant ? Le dispositif ne s’applique qu’aux déchetteries destinées aux déchets des ménages, autrement dit les déchetteries dites « communales », laissant de côté les déchetteries professionnelles (et donc une part massive du gisement).
Pour conclure, notons que ces 5 points ne sont pas exhaustifs, et qu’il y a d’autres nouveautés qu’il conviendra de commenter en détails, notamment la création d’un fonds dédié au financement du réemploi et de la réutilisation 6, et de multiples obligations pour les acheteurs publics 7, etc.
1. Nouvel article L. 111-10-4 du code de la construction et de l’habitation.
2. Eu égard notamment aux conditions restrictives posées par la jurisprudence administrative pour contester un marché public.
3. Nouvel article L. 541-10-1 4° du code de l’environnement.
4. Sur la question de savoir quels sont les flux / catégories de déchets qui nécessiteront une collecte séparée, il faudra attendre le décret d’application.
5. Nouvel aliéna à l’article L. 2224-13 du code général des collectivités territoriales.
6. Nouvel article L. 541-10-3-2 du code de l’environnement. Ce fonds devra être créé par l’éco-organisme. On peut regretter que l’article vise « en particulier » certaines filières (DEEE, habillement ou encore jouet notamment) parmi lesquelles ne figure pas celle des produits et matériaux de construction.
7. Comme l’interdiction pour les acheteurs publics de discriminer les constructions temporaires ayant fait l’objet d’un reconditionnement pour réemploi (nouvel Art. L. 2172-5 code de la commande publique), ou l’obligation d’acquérir une certaine proportion de biens issus du réemploi (art. 6 quater de la loi relative à l’économie circulaire) …
À propos de l’auteur :
Elisabeth Gelot est avocate chez SKOV Avocats. Elle intervient en droit de l’environnement et plus particulièrement en matière d’économie circulaire.
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