Réemploi des matériaux : pourquoi faut-il suivre de TRÈS près le projet de loi sur l’économie circulaire ? – Elisabeth Gelot

Soyez dans les starting blocks : le 24 septembre débute l’examen du projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire au Sénat. 

Ce projet risque d’avoir un impact significatif sur la filière du réemploi des matériaux : levier pour le réemploi, opportunité économique pour les acteurs de la filière, mais aussi risques d’accaparement du gisement de matériaux par la filière recyclage ou de concurrence des diagnostiqueurs immobiliers. 

On vous explique à ce stade deux nouveautés qui vont être discutées et qui pourraient faire la différence : 

1 – Le Diagnostic Déchets pourrait devenir un Diagnostic Déchets-Matériaux

L’article 6 du projet de loi présenté par Brune Poirson prévoit de faire évoluer le Diagnostic Déchets 1

Rebaptisé « diagnostic relatif à la gestion des matériaux et des déchets de la démolition ou réhabilitation significative de bâtiments », il s’agit d’une sorte de fusion entre le Diagnostic Déchets réglementaire et le « Diagnostic Ressources ». 

Ce nouveau diagnostic devra fournir « les informations nécessaires relatives aux produits, matériaux et déchets en vue de leur réemploi ou de leur valorisation ».

Le champ d’application de ce diagnostic aura vocation à évoluer 2 , mais sans que la loi ne puisse apporter de précision sur ce point (qui devra être prévu par un décret ultérieur).

En outre, les personnes physiques ou morales qui établiront ce diagnostic devront présenter des garanties de compétences 3 et d’assurance spécifiques (mais, là encore, la loi n’a pas vocation à apporter plus de précisions et c’est un décret ultérieur qui s’en chargera). 

Quels impacts à ce stade pour la filière du réemploi des matériaux ? 

1 – Cette évolution pourrait constituer UN RÉEL LEVIER pour le réemploi, en structurant mieux et plus largement les gisements de matériaux, puisqu’une sorte de catalogue des matériaux à réemployer pourrait être systématiquement établi pour les bâtiments entrant dans le champ d’application du nouveau diagnostic. 

2 – Ce nouveau diagnostic pourrait créer une OPPORTUNITÉ (ÉCONOMIQUE) pour les acteurs de la filière : le marché du « Diagnostic Ressources » serait renforcé et ne reposerait plus uniquement sur la bonne volonté de la maîtrise d’ouvrage mais sur une obligation contraignante. Par ricochet, les activités de dépose des matériaux destinés au réemploi pourraient également bénéficier de ce nouveau marché.  

Un RISQUE (IMPORTANT en revanche) : celui de l’accaparement des Diagnostics Ressources / Matériaux par les grands cabinets de diagnostic pré-démolition, qui réalisaient déjà souvent les Diagnostics Déchets. 

En effet, les professionnels qui réaliseront ce nouveau diagnostic « deux-en-un » devront présenter des garanties de compétences et d’assurance spécifiques qui pourraient constituer une charge financière écrasante pour les acteurs émergents ou de l’ESS qui réalisent actuellement les Diagnostics Ressources. En l’état, le projet de loi risque d’obliger ces acteurs soit à s’allier avec des diagnostiqueurs immobiliers (pour réaliser la partie « matériaux » du diagnostic), soit à acquérir les compétences nécessaires à la réalisation du Diagnostic Déchets (pour réaliser entièrement le Diagnostic Déchets-Matériaux).      

Ce qu’il faut garder en tête : le Diagnostic Déchets actuel prévoit d’ores et déjà l’identification des matériaux à réemployer 4

La principale lacune du dispositif en vigueur est l’absence de sanction en cas de non-respect de l’obligation de diagnostic (seulement 5 à 10 % des opérations relevant du champ du diagnostic pré-démolition font effectivement l’objet d’un tel diagnostic 5 ) et le projet de loi en l’état ne pallie pas cette lacune 6

Un amendement pourra cependant y remédier facilement (affaire à suivre).  

2 – Le secteur du bâtiment pourrait entrer dans l’ère de la REP   

L’autre gros sujet pour le secteur du bâtiment, c’est le projet de création d’un régime de Responsabilité élargie des producteurs (REP) pour la filière des matériaux de construction (article 8 du projet de loi). 

Le projet de loi propose à ce titre que soient soumis au principe de responsabilité élargie du producteur : 

« Les produits ou matériaux de construction du secteur du bâtiment destinés aux ménages ou aux professionnels, à compter du 1er janvier 2022, de sorte à ce que les déchets de construction ou de démolition qui en sont issus soient repris sans frais en tout point du territoire national lorsqu’ils font l’objet d’une collecte séparée. La présente disposition ne s’applique pas aux produits ou matériaux faisant l’objet d’un système équivalent de prévention, de collecte et de traitement des déchets permettant la reprise sans frais en tout point du territoire national des déchets de construction ou de démolition qui en sont issus lorsqu’ils font l’objet d’une collecte séparée ». 

Quel impact à ce stade pour la filière du réemploi des matériaux ? 

L’impact principal est le risque de pression créé par l’éco-organisme sur le recyclage des matériaux, au détriment de la filière du réemploi des matériaux. 

Une comparaison avec les filières REP existantes permet d’éclairer cet impact potentiel. 

Comme le rappelle l’ADEME, les trois objectifs principaux des filières à responsabilité élargie des producteurs sont :

développer le recyclage de certains déchets et augmenter leur performance de recyclage ;

décharger les collectivités territoriales de tout ou partie des coûts de gestion des déchets et transférer le financement du contribuable vers le producteur (fabricant) ;

– internaliser dans le prix de vente du produit neuf les coûts de gestion de ce produit une fois usagé afin d’inciter les fabricants à s’engager dans une démarche d’écoconception.

Privilégier et développer le réemploi ne fait pas partie aujourd’hui des objectifs principaux des REP 7

En pratique, comment cela pourrait fonctionner ? 

Les distributeurs qui mettraient sur le marché des matériaux de réemploi (seconde mise sur le marché) seraient très probablement exemptés d’écocontribution pour ces matériaux. Mais on voit bien que pour les filières REP en place, cette exemption n’a pas eu pour effet de développer de manière significative le réemploi… La REP des emballages est éloquente sur ce point. 

Il y aura également en principe un bonus pour les écocontributions versées au titre des matériaux qui auront de fortes possibilités de réemploi, mais là encore pour les filières en place on voit bien que ce n’est pas un levier très efficient auvu du niveau d’écoconception à l’heure actuelle…

Enfin, si on regarde les cahiers des charges des REP actuellement en place, on voit bien que les objectifs en matière de prévention/réduction des déchets (et donc de réemploi) sont peu élevés et que les objectifs chiffrés réellement significatifs sont ceux du recyclage

En conclusion : rendez-vous à compter du 24 septembre pour suivre les débats à l’Assemblée et les amendements qui seront déposés ! 


1. Prévu par l’article L111-10-4 du code de la construction et d’habitation et articles R111-43 et suivants du même code.

2. Actuellement le Diagnostic Déchets s’applique aux démolitions de bâtiments d’une surface hors œuvre brute supérieure à 1 000 m², ainsi qu’aux bâtiment professionnels ayant accueilli des substances dangereuses au sens de l’art. R4411-6 du code du travail (art. R111-43 du code de la construction et de l’habitation).

3. Actuellement, le dispositif du Diagnostic Déchets prévoit seulement que la personne établissant le diagnostic doit être « un professionnel de la construction » (art. R111-47 du code de la construction et l’habitation).

4. En revanche le dispositif actuel recense uniquement les possibilités de réemploi « sur site ». Article R111-46 code de la construction et de l’habitation et Formulaire de récolement relatif au diagnostic portant sur la gestion des déchets issus de la démolition (Cerfa 14498*01).

5. Etude d’impact du projet de loi, p. 74

6. Il semble que le projet de texte envisageait la création d’un nouvel article L111-10-4-4 fixant les sanctions applicables (amende de 45 000 euros) en cas de non-respect des obligations du « diagnostic déchets pré-démolition » (cf Etude d’impact du projet de loi, p. 75). Pourtant, on n’en trouve pas trace dans le projet de loi n° 660 soumis à l’examen de l’Assemblée (NOR : TREP1902395L).

7. Cela pourrait changer puisque le projet de loi prévoit que les producteurs soumis à une REP devront « soutenir les réseaux de réemploi et de réparation » (art. 8 du projet de loi). Néanmoins concrètement, une fois que les producteurs auront versé leur contribution financière à l’éco-organisme, sur le plan légal, ils seront regardés comme s’étant acquittés de toutes leurs obligations. Il faudra donc vérifier si les cahiers des charges des nouveaux éco-organismes prévoient des obligations intéressantes et spécifiques s’agissant de ce « soutien » aux réseaux de réemploi.


À propos de l’auteur :

Elisabeth Gelot est avocate chez SKOV Avocats. Elle intervient en droit de l’environnement et plus particulièrement en matière d’économie circulaire.