Retour sur la rencontre « Vers le zéro déchet dans le bâtiment ? » au Hangar Zéro – Hannah Höfte

Le Havre, le 12 mars 2020

Partie 1 : Objectif zéro déchet dans le bâtiment ?

Jeudi 12 mars se tenait au Hangar Zéro au Havre une rencontre dédiée au réemploi des matériaux en architecture. Cette rencontre avait lieu dans le cadre de Chantiers Communs, le mois de l’architecture en Normandie organisé par Territoires Pionniers. L’après-midi a été riche de discussion autour de deux tables rondes : l’une posant la question « Objectif zéro déchet dans le bâtiment ? », l’autre dédiée au Hangar Zéro, réunissant les différents acteurs de ce projet atypique, qui a été suivie d’une visite du chantier par son architecte Frédéric Denise.

Hannah Höfte nous propose ici un résumé de l’événement en deux parties. Voici la première, partie consacrée à la table ronde “Objectif zéro déchet dans le bâtiment ?”.

Les intervenants

Emmanuelle Onno, chargée de mission PRPGD (Plan régional de prévention et gestion des déchets) pour la région Normandie,

Stéphanie Paly, maître d’oeuvre chargée de la plateforme de réemploi du chantier de la Grande Halle de Colombelles, le WIP,

Hugo Bonnet, de la plateforme Cycle Up,

Mathilde Billet, de Bellastock,

Valérie Flicoteaux, vice-présidente du Conseil national de l’Ordre des architectes,

Pascal Dufour, secrétaire général de la CAPEB (Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment).

La table ronde organisée par Territoires pionniers a fait intervenir des acteurs variés pour tenter de répondre à la question suivante :« Objectif zéro déchet dans le bâtiment ? ».

A la question « Zéro déchet dans le bâtiment, une utopie ? », l’ensemble des intervenants répond d’une voix optimiste « Non ! ».

Mathilde Billet de Bellastock nuance : “A l’heure actuelle, encore un peu, mais on observe de plus en plus de cas où on avance.” Elle rappelle l’importance du partenariat avec les Maîtres d’Ouvrage aussi bien qu’avec les artisans déconstructeurs et constructeurs.

Les mentalités

Dans un premier temps, c’est la question de la mentalité des acteurs du secteur de la construction qui a été débattue.

Pascal Dufour de la CAPEB rappelle qu’il n’y a pas un seul type d’entreprise et donc pas un seul type de mentalité. Certaines intègrent les enjeux environnementaux et le réemploi bien plus facilement que d’autres et la CAPEB tente de les accompagner dans ce sens.

Stéphanie Paly nous partage son retour d’expérience avec le WIP, où elle a observé en 3 ans un énorme changement des mentalités, autant de la part des entreprises sur les chantiers que de la part des maîtres d’ouvrages :

Certains maîtres d’ouvrages, initialement contactés au cours d’une recherche de matériaux disponibles pour le projet de la Grande Halle, ont recontacté le WIP depuis pour obtenir un accompagnement réemploi sur d’autres projets.

Selon Stéphanie, le projet de la Grande Halle a eu un réel impact en tant que modèle d’expérimentation réussi, qui permet de déconstruire certaines idées reçues et inviter d’autres maîtrises d’ouvrages à mettre en œuvre du réemploi. Il a également permis de montrer des exemples de processus efficaces à répéter, comme les dossiers techniques qui ont été établis pour chaque matériau de réemploi, à destination des assurances comme des entreprises. Ces dernières semblent également avoir évolué d’après le retour de Stéphanie Paly :

« Quand on leur [ndlr : les entreprises sur les chantiers] montre et qu’on les accompagne, ils comprennent bien et sont motivés. »

Mathilde Billet de Bellastock rebondit sur cette idée de « preuve par l’exemple » en citant la plateforme Opalis fondée par le collectif belge Rotor, qui répertorie de nombreux exemples de projets mettant en oeuvre du réemploi. La plateforme référence également, sous forme de cartographie, de nombreux fournisseurs de matériaux de réemploi, dont certains ont un savoir faire ancien. Parmi eux, certains démolisseurs ont intégré des pratiques de déconstruction sélective et deviennent fournisseurs de matériaux. Bellastock travaille actuellement à développer ce répertoire sur le territoire français.

La pédagogie

Hugo Bonnet de Cycle-Up rappelle que le développement du réemploi peut être abordé via deux angles d’action distincts.

D’un côté, encourager la déconstruction plutôt que la démolition. Cette pratique semble se développer, de façon assez encourageante.

De l’autre, intégrer des matériaux de réemploi dans des projets, ce qui semble beaucoup plus compliqué.

Là, les maîtrises d’ouvrages ainsi que les entreprises de construction doivent encore évoluer. Il faut leur prouver que c’est faisable en démontrant une grande pédagogie.

Pour cela, Hugo Bonnet insiste sur le fait qu’il est crucial de se rassembler et de mettre en commun les connaissances et méthodologies pour faire évoluer les pratiques. La plateforme Cycle-up cherche à ce titre à se positionner comme un intermédiaire, au delà de son activité de Market place, à la manière d’Opalis ou de Materiauteek en Belgique.

Massifier

La suite de la discussion a permis d’aborder la question de la massification du réemploi.

Selon Pascal Dufour (CAPEB), il est très difficile de généraliser des solutions qui sont aujourd’hui de l’ordre du cas par cas. Pour lui, il faudrait une unique fiche par matériaux qui puisse être diffusée, en s’inspirant du fonctionnement des DTU (Documents techniques unifiés). Mathilde Billet (Bellastock) signale qu’un travail de ce type est en cours avec le CSTB et que des guides sont en cours de réalisation, notamment sur les parquets chêne.

Valérie Flicoteaux (Ordre des architectes) rappelle que la récente loi Essoc a introduit le “Permis d’expérimenter”. Il a pour but de constituer un répertoire de solutions d’effets équivalents, qui devront être validées par un organisme indépendant, et qui pourront servir de modèle pour de nouvelles opérations. Ceux-ci pourront constituer de nouveaux éléments de référence dans une logique comparable à celle des DTU…

La nécessité de mettre en place des processus communs ressort des discours de l’ensemble des intervenants.

Stéphanie Paly (Le WIP), nuance :

“Attention à trop vouloir tout unifier, tout massifier voire standardiser. L’intérêt du réemploi réside aussi dans sa spécificité, dans son approche territoriale et locale, ce qui fait qu’il s’agit souvent des cas particuliers.”

La question des plateformes physiques

Stéphanie Paly (Le WIP) évoque, pour illustrer cette idée, le Plateau circulaire, la plateforme physique de réemploi née du projet de la Grande Halle, qui est donc propre au territoire caennais.

Pascal Dufour (CAPEB) poursuit dans ce sens en approuvant l’intérêt des plateformes physiques. Il souligne que le déroulement d’un chantier n’est jamais linéaire et qu’il est donc compliqué de travailler en flux tendu, c’est pourquoi les plateformes physiques sont intéressantes. Il ajoute que cela permet de « toucher le matériau, ce qu’on ne peut pas faire sur internet » et qui est important pour de nombreux entrepreneurs afin de les mettre en confiance.

“C’est bien cette idée qui est derrière le projet Opalis”, rebondit Mathilde Billet (Bellastock). Le répertoire, que Bellastock est en train de développer à l’échelle du territoire français, permettra de connaître les revendeurs existants qui proposent déjà des solutions opérationnelles et qui disposent d’espaces de stockage. Ces derniers ont de vrais savoir-faire : techniques de dépose, de reconditionnement, de remise en œuvre de certains matériaux…

La plateforme Cycle-Up essaye quant à elle de créer des contrats d’approvisionnement, nous dit Hugo Bonnet. Le principe est que la plateforme peut s’engager auprès des entreprises à fournir un matériau à une date précise. C’est aujourd’hui possible grâce à la connaissance qu’a acquis l’équipe de Cycle-Up du marché et des matériaux qui y circulent.

Les limites

En dernière partie de discussion, c’est bien sûr les limites du réemploi qui ont été abordées.

Revient alors la question des assurances qui, pour Pascal Dufour (CAPEB), est aujourd’hui le problème majeur. L’assurance décennale, obligatoire pour les entreprises et la maîtrise d’oeuvre, rend ces dernières responsables pendant 10 ans des éléments qu’elles mettent en oeuvre. Elle est difficile à obtenir dans le cas de matériaux de réemploi ce qui peut constituer un vrai frein expliquant la réticence des entreprises à s’engager dans le réemploi.

Des solutions permettant d’être assurés existent, comme l’explique Mathilde Billet (Bellastock). Cela peut passer notamment par des tests techniques, comme les a réalisé la société Mobius pour des dalles de faux planchers. Mais ces tests sontcoûteux et ne deviennent donc rentable qu’à partir d’un certain volume de matériaux (plusieurs milliers de mètres carrés dans le cas des dalles de faux-planchers reconditionnés par Mobius). De la même façon, Mathilde Billet nous explique que le désamiantage des menuiseries extérieures de la Tour Montparnasse est intéressant compte tenu de l’ampleur de l’opération et de l’importante ressource que ces menuiseries constituent. L’investissement pour le réemploi doit donc être proportionnel à l’échelle du projet.

Stéphanie Paly, souligne quant à elle que les solutions en matière d’assurance doivent aussi venir des compagnies d’assurance elles-mêmes. Elle constate que certaines ont compris que les choses changent et sont prêtes à s’adapter, comme AXA sur le projet de la Grande Halle. “Des nouveaux modèles d’assurance sont peut-être en construction, ou du moins devraient l’être !” nous dit-elle.

Conclusion

En conclusion, Valérie Flicoteaux, vice-présidente du Conseil National de l’Ordre des Architectes (CNOA), résume la discussion et propose de l’inscrire dans une perspective plus large. Elle rappelle combien il est important d’encourager la réhabilitation plutôt que la démolition-reconstruction des bâtiments.

Elle insiste également sur l’intérêt de s’entourer des partenaires du territoire pour faciliter le réemploi. Il peut s’agir de réseaux d’entreprises ou des nombreux acteurs du réemploi, tels que ceux évoqués au cours de la discussion, qui sont souvent très ouverts et disponibles. Un autre élément important pour favoriser le réemploi, rappelle-t-elle, est de faire du bureau de contrôle son partenaire tout au long du projet.

Enfin, elle conclut en soulignant que le réemploi nécessite d’accepter une grande adaptabilité du projet architectural dans son sens large.

Cette table ronde a ainsi permis de faire interagir des points de vue variés sur la question “Objectif zéro déchet dans le bâtiment?”. Elle a permis d’établir un état des lieux de la situation existante telle que vécue par les différents intervenants, entre retours d’expérience très encourageants et freins encore existants. Des stratégies ont été évoquées pour lever ces derniers, démontrant une fois de plus qu’il est possible pour toute équipe de maîtrise d’oeuvre motivée et innovante de mettre en oeuvre des matériaux de réemploi. Cela est très bien illustré par le projet du Hangar Zéro, qui accueillait l’événement et que nous vous présenterons dans le prochain article !


À-propos de l’autrice :

Hannah Höfte a obtenu son diplôme d’état en architecture à l’ENSA Paris Malaquais en juin 2019 en présentant un PFE autour du réemploi de matériaux, faisant suite au chantier de déconstruction sélective “déconstruisons” qu’elle a organisé sur sa maison d’enfance en octobre 2018.

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