Les nouveaux fournisseurs de matériaux : la métaphore de l’échelle

Le réemploi des matériaux dans le secteur du bâtiment connaît une progression rapide. La maîtrise d’ouvrage publique comme privée, et plus largement les pouvoirs publics, les fédérations du bâtiment, les entrepreneurs et entrepreneuses s’engagent de plus en plus dans cette voie.

Comment s’y retrouver ?

Le secteur du bâtiment est très large et protéiforme. De l’auto-constructeur, au bricoleur en passant par l’artisan, la PME et la multinationale, sur les  chantiers, les pratiques, les besoins, et les savoir-faire sont très variés. Ces réalités très diverses appellent des réponses spécifiques et qui doivent être adaptées.

Depuis quelques années, un peu partout en France (et ailleurs) des initiatives naissent, pour beaucoup portées par des actrices et des acteurs du champ de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) mais ne répondent pas au même besoin. Pour caractériser ces initiatives, je propose de les illustrer selon 5 niveaux de services rendus par des fournisseurs de matériaux de réemploi.

Une échelle à 4 barreaux…

Le premier barreau est celui des particuliers.

Avec un œil aiguisé ou aguerri à la récup’, ils repèrent et récupèrent des matériaux, sur leur lieu de travail, chez un voisin, avec différents « plans récup » qu’on connaît près de chez soi… Et plus on a de place à la maison, plus on stocke !

Le deuxième barreau est celui des recycleries de matériaux. 

Un groupe de personnes se rassemblent et unissent leurs forces et motivations pour créer une structure située dans un lieu dédié, central ou paumé dans la pampa. Afin de faire face aux charges fixes (loyers, eau, gaz, électricité assurance, salaires…), il devient nécessaire de structurer une activité économique afin d’amortir ces dépenses. Son identité et son activité permettent d’atteindre des gisements difficilement accessibles à l’échelle individuelle. On mutualise des moyens de manutention, un espace, des machines… C’est à l’image des recycleries de matériaux qui se développent depuis plus de 5 ans comme l’Écrouvis, dont je suis l’un des cofondateurs.

Les matériaux vendus sont principalement destinés aux particuliers, mais quelques artisans y trouvent également leur bonheur. Pour les particuliers, les besoins sont divers, l’état des matériaux n’est généralement pas le critère principal, ils et elles ont du temps pour les transformer, les nettoyer, les adapter. Les petits prix les intéressent et ils et elles sont prêts à faire quelques kilomètres supplémentaires pour un bonne affaire.

Le troisième barreau est celui des plateformes de réemploi. 

Il y en a de plus en plus en projet, principalement proches des métropoles. Ces plateformes sont en capacité d’absorber d’importants volumes de matériaux issus de démolitions ou de rénovations, gisements qu’une recyclerie seule a souvent du mal à absorber, même en partageant les gisements avec ses collègues proches géographiquement. Les plateformes viennent d’abord répondre aux besoins des professionnels du bâtiment qui recherchent des matériaux avec des caractéristiques techniques identifiées et des volumes plus importants, conformes à leur exigences. La réponse à ces besoins est l’occasion de massifier les pratiques de  réemploi, sur des chantiers nécessitant de présenter plus de garanties techniques et assurantielles. Ces plateformes sont généralistes et proposent un panel de matériaux variés (comme Réavie, Baticycle, Cycle-up ou Backacia par exemple)  proposés ou spécialisées (comme Möbius, entreprise spécialisée dans la fourniture de faux plancher techniques de réemploi). Lorsqu’elles ne sont pas réservées aux professionnels, les particuliers peuvent également y trouver leur compte. Ce type de plateforme commence alors à concurrencer les magasins de bricolage et les fournisseurs de matériaux.

Le quatrième barreau est celui d’un flux zéro stock. 

Les matériaux ne transitent pas par une plateforme physique intermédiaire, ils vont directement du bâtiment A d’où est issu le gisement vers un bâtiment B dont le chantier est en cours. Par exemple, un chantier d’une rénovation lourde est prévu dans 2 ans sur le bâtiment A, la construction du bâtiment B est également prévue dans 2 ans. Les éléments déposés du bâtiment A peuvent aller directement dans le bâtiment B grâce à la prescription des architectes et bureaux d’études et à une dépose sélective de qualité. Le chantier peut aussi devenir un magasin éphémère, pour la vente directe de matériaux déposés ou à déposer (modalité encore peu explorée).

Dans ce cas, la clientèle est avant tout professionnelle, mais peut aussi être constituée de particuliers habitant à proximité du chantier.

…et 2 montants

Cette échelle à quatre barreaux est soutenue par deux montants distincts qui apportent des solutions, des possibilités différentes et complémentaires.

Le premier montant est physique. 
Il s’appuie sur un espace où l’on peut stocker des matériaux pour une durée plus ou moins longue. Il permet un conseil et une vente physiques. Il peut aussi accueillir des événements de sensibilisation ou de démonstration de mise en œuvre de matériaux de réemploi.

Le second montant est numérique. 
Au niveau du premier barreau on trouve des sites du type Leboncoin, Donnons.org, divers groupes Facebook, Whatsapp… pour les trois barreaux suivants, on retrouve les mêmes outils numériques et on y ajoute les plateformes spécialisées dans le réemploi de matériaux qui se développent de plus en plus (la liste est déjà trop longue pour pouvoir toutes les citer).

Des besoins à bien distinguer

Comme nous venons de le préciser, les particuliers et les professionnels n’usent pas du réemploi de matériaux de la même manière. On peut ajouter à ces deux catégories les artistes et les professionnels de l’Upcycling en recherche non de matériaux mais de matière première secondaire pour leurs créations et détournement d’usages.

L’avenir du réemploi via son développement et sa généralisation mènera certainement à  une  évolution des besoins à mesure que les offres s’élargiront, tout en continuant à contribuer de détourner de la benne des tonnes de matériaux qui, de ce fait, ne deviennent pas des déchets. Quand le réemploi permettra de diminuer de 1% le volume des déchets que nous produisons, puis 5, 10, 15%… le paysage sera bien différent de celui que nous connaissons aujourd’hui.

Se diversifier

Le développement et la diversification des fournisseurs de matériaux est actuellement très lié à deux éléments déterminants :

1- Les compétences, les envies, la philosophie au sein des structures et les moyens financiers à disposition pour développer de nouveaux projets et diversifier son activité. De nombreuses réalisations et innovations émanent de jeunes structures, souvent issues du champ de l’ESS (caractéristique récurrente dans ce secteur). Le réemploi de matériaux commence également à intéresser les industriels du bâtiment et de la gestion des déchets.

2- La dynamique locale s’appuie sur des gisements potentiels (bâtiment avec des matériaux à forte valeur ajoutée ou patrimoniale par exemple, ou utilisation dominante d’un matériau facilement réemployable comme la brique) et à un contexte favorable par la présence d’acteurs préexistants et convaincus. De l’avis de nombre d’entre elles et eux, aujourd’hui, le réemploi de matériaux se développe grâce à des personnes sensibilisées et ouvertes à expérimenter de nouvelles démarches, quelques fois soutenues par les collectivités. Demain, la vision du déchet est amenée à évoluer, ainsi que le cadre légal encadrant les activités liées au réemploi des matériaux de construction amenant probablement une évolution des pratiques quotidiennes. Finalement, notre culture évolue grâce à  une nouvelle perception des déchets et des enjeux de l’économie des ressources.

Nous ne sommes qu’au début

Mais nous ne sommes qu’au début d’un réemploi systématique des matériaux de construction. Même si le réemploi a toujours existé dans l’histoire de la  construction,  les pratiques à venirauront un visage différent. Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour faire émerger, sur les territoires urbains et ruraux, les acteurs et actrices qui composeront les futurs échelons de la filière.


À propos des auteurs :

Frantz Daniaud est co-fondateur de l’Écrouvis, association œuvrant pour le réemploi de matériaux et l’éco-construction, notamment grâce à une recyclerie de matériaux qui a ouvert début 2020 à Saint-Nicolas-de-Redon (44). Il est aussi le co-créateur de la première formation professionnelle qualifiante sur le réemploi de matériaux de France en lien avec le centre de formation Noria et Cie, lui aussi basé à Saint-Nicolas-de-Redon.


Julia Serrière, chargée de projets économie circulaire et réemploi au sein du Wip, tiers-lieu qui mène des projets culturels, d’inclusion et de conseils pour le développement des tiers-lieu et de l’économie circulaire et du réemploi dans le bâtiment.

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