L’Autre Soie, ou comment prendre soin de l’existant – Hannah Höfte

Dans quelques mois sera livré le projet de réhabilitation « L’Autre Soie » à Villeurbanne, un bel exemple d’une démarche globale de réemploi. Rencontre avec l’agence A-MAS,  architectes du projet, basée à St-Etienne.

Le projet L’Autre Soie concerne la transformation complète d’un bâtiment de 4 900 m² construit en 1923 et ayant déjà connu plusieurs vies : foyer de travailleuses de l’usine voisine de soie artificielle dans les années 1920, caserne, hôpital militaire, Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM).

Est Métropole Habitat et le GIE La Ville Autrement ont encore souhaité offrir une nouvelle vie à ce bâtiment patrimonial inoccupé. Ainsi, il accueillera bientôt  une programmation hybride mêlant logements étudiants et espace culturel / associatif, le tout dans une architecture mettant à l’honneur le réemploi à différentes échelles.

Celle du bâtiment avant tout, puisqu’il a été choisi de conserver l’intégralité de son enveloppe en béton cyclopéen, et même de dévoiler par endroit sa nature, jusqu’alors cachée derrière de la brique plâtrière. Les planchers, trop fragiles, ont eux dû être déconstruits et remplacés par des planchers neufs, méthodologie délicate à mettre en œuvre étant donné qu’ils participaient à la stabilité générale de l’enveloppe.

Celle des matériaux ensuite, en développant dès la programmation une démarche de réemploi des matériaux présents dans le bâtiment ou disponibles aux alentours. Un diagnostic ressource a ainsi été réalisé par Minéka en amont du projet et intégré dans les pièces du concours de conception-réalisation, et une exigence de 50% de matériaux issus du réemploi a été fixée par le maître d’ouvrage. Le bureau d’études Mobius réemploi a également joint ses compétences au groupement retenu.

Coupe sur le projet et intégration de matériaux de réemploi ©A-MAS architectes

Pose des châssis acier restaurés. Crédit photo : Lionel Rault.

Les architectes ont ainsi choisi de réemployer in-situ des passerelles métalliques, des radiateurs et chemins de câble, des portes transformées en table, des lavabos, briques ou pavés autoblocants. La conception architecturale s’est adaptée à ce jeu avec l’existant, par exemple en déportant l’enveloppe chauffée de la façade afin de conserver les menuiseries existantes en acier, qui ont été déposées, restaurées et reposées.

Déplacement d’un voile béton peint découpé (tour-escalier existante) pour repose en dalles extérieures de 1m*2m (terrasse du restaurant). Crédit photo : Lionel Rault.

Des éléments provenant d’autres chantiers de la maîtrise d’ouvrage, tels que des parquets en chêne, ont été fournis, tout comme des matériaux issus de filières de réemploi extérieures, sourcés par Mobius. Enfin, certains éléments déconstruits qui ne trouvaient pas leur place dans le projet ont été cédés à des associations (chemins de câbles, portes, pavés…).

Ces opérations de réemploi de différentes natures et dans des temporalité variées ont été facilitées par la forme du marché : la conception-réalisation. Ce montage a permis de mobiliser assez tôt le co-mandataire Chazelle, entreprise familiale stéphanoise motivée pour développer le réemploi dans ses pratiques, et pour qui ce type de projet était une première. Elle a ainsi pu réaliser des tests de dépose en phase étude et assurer en interne le stockage des éléments en attente de leur remise en œuvre, question souvent critique pour permettre la fiabilisation du réemploi.

Dépose par Chazelle et mise à disposition. Crédit photo : Lionel Rault.

Ambition de la maîtrise d’ouvrage, anticipation et collaboration étroite de l’ensemble du groupement semblent avoir permis d’aboutir à un projet prenant au maximum soin de l’existant, tout en maîtrisant le bilan économique (le léger dépassement du budget étant plutôt dû à la conjoncture des prix des matériaux neufs). Il a induit une approche architecturale et patrimoniale sur mesure, finalement « pas si compliquée, à l’image de ce qui a longtemps été fait par le passé », comme le rappelle Julie Cuvelier, architecte au sein de l’agence A-Mas. 

Programme : Résidence étudiante et centre parental, pépinière associative, maison des services publics, restaurant, fablab, amphithéâtre, ateliers de création.

Maître d’ouvrage : Est Métropole Habitat.

Budget : 10,8 M€HT.

SDP : 4900 m²

Livraison : Juillet 2023

Groupement : A-MAS architecte mandataire, Chazelle entreprise mandataire, FBAA architecte du patrimoine, Sara De Gouy architecte d’intérieure, Big Bang paysagistes, GBA économistes, Nicolas fluides, Mobius réemploi, Marshallday acoustique.


À propos de l’auteure :

Hannah Höfte est architecte et accompagnatrice réemploi. Elle a obtenu son diplôme d’état en architecture à l’ENSA Paris Malaquais en juin 2019 en présentant un PFE autour du réemploi de matériaux, faisant suite au chantier de déconstruction sélective “déconstruisons”. Elle exerce aujourd’hui à son compte et au sein du BET Raedificare à Marseille.

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