Le permis d’expérimenter : A quelles règles allez-vous pouvoir déroger ? (Episode 1) – Elisabeth Gelot

Le gouvernement a publié le 31 octobre 2018 une ordonnance qui fixe les modalités du permis d’expérimenter1.

De quoi s’agit-il ?

Tout d’abord, à ceux qui pensent qu’il s’agit d’une grande nouveauté, détrompez-vous.

Ce nouveau permis s’inscrit dans la droite lignée du « permis de faire », qui avait été introduit par la loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine de juillet 20162.

Le permis d’expérimenter est quant à lui issu de l’article 49 de la loi d’août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance.

Il doit permettre aux maîtres d’ouvrage de déroger à certaines règles de construction3.

Pour obtenir ce permis, il faudra démontrer deux choses :

  • d’une part, que les moyens mis en œuvre conduisent à des résultats équivalents à ceux définis par les règles en question,

  • et d’autre part, le caractère innovant des moyens choisis.

S’il est nécessaire d’attendre le décret d’application à venir pour détailler les conditions de mise en œuvre de ce dispositif, on peut d’ores et déjà statuer sur une question essentielle : jusqu’où allez-vous pouvoir expérimenter ?

Parmi l’ensemble des règlementations et normes qui freinent les projets de réemploi, quelles sont celles auxquelles les maîtres d’ouvrage pourront déroger avec la délivrance d’un permis d’expérimenter ?

1. Les règles dont les acteurs du réemploi souhaiteraient s’émanciper

Les freins légaux et règlementaires au réemploi des matériaux de construction ont d’ores et déjà été identifiés par l’ADEME en 2016.

Ils sont depuis bien connus des maîtres d’ouvrage et des architectes qui déploient des stratégies techniques et juridiques toujours plus ingénieuses pour les lever.

Pour résumer, le réemploi des matériaux engendre 2 types de risques juridiques :

  • Le risque assurantiel (les problématiques relatives aux conditions d’application des garanties biennale et décennale notamment),

  • Le risque en matière de responsabilité au titre de la législation relative aux déchets (l’ombre du statut de déchet et la responsabilité pesant sur les détenteurs successifs).

Or le permis d’expérimenter n’a pas pour objet de permettre de déroger ou d’adapter les garanties légales ou la réglementation en matière de déchets, mais bien de déroger aux « règles de construction portant sur […] les matériaux et leur réemploi » (article 3 de l’ordonnance).

2. Les règles auxquelles les acteurs du réemploi vont pouvoir déroger

L’ordonnance permet uniquement aux maîtres d’ouvrage de déroger aux « règles de construction portant sur […] les matériaux et leur réemploi » (article 3 de l’ordonnance).

On soulignera de prime abord qu’actuellement, il n’existe pas à proprement parler de « règles de construction portant sur le réemploi des matériaux »…4. On saluera donc ici cette pseudo liberté offerte aux maîtres d’ouvrage de déroger à des règles inexistantes grâce au permis d’expérimenter5.

Cela étant dit, reste donc la possibilité de déroger aux règles de construction portant sur « les matériaux ».

Concrètement, le permis d’expérimenter va permettre d’utiliser des matériaux réemployés en lieu et place de matériaux bénéficiant d’un marquage CE, ou conformes aux normes françaises ou avis techniques ou normes nationales équivalentes, lorsque la réglementation imposait le recours à des matériaux ou produits de construction bénéficiant de telles certifications6.

Si l’on s’en tient strictement à la lettre de l’ordonnance, le dispositif va donc permettre de déroger principalement aux textes en matière de Performance énergétique et environnementale7, s’agissant des matériaux à utiliser pour atteindre les objectifs qu’ils fixent.

3. Le double intérêt du permis d’expérimenter pour le réemploi des matériaux

Si le champ des dérogations est donc finalement assez restreint, reste que le permis d’expérimenter présente un double intérêt.

D’une part, il pourrait permettre, par ricochet, d’instaurer un climat de confiance et une culture du réemploi dans le secteur de la construction.

En étant optimiste, on peut également penser que les constructions qui s’inscriront dans ce dispositif seront l’occasion, pour les assureurs, de poursuivre les évolutions engagées.

Ces chantiers leur permettront de définir précisément et de manière durable les conditions dans lesquelles ils acceptent de prendre en compte le risque lié au réemploi de matériaux de construction, et d’adapter leurs contrats de garantie.

D’autre part, l’objectif du permis d’expérimenter est de préparer la publication d’une seconde ordonnance (qui devrait intervenir en principe dans les 16 mois à venir), qui devra simplifier certaines règles du livre Ier du code de la construction et de l’habitation, en substituant à la prescription de moyens, des objectifs de résultats8.

Pour les matériaux issus du réemploi, ce sera l’occasion d’être mis durablement sur un pied d’égalité avec les matériaux bénéficiant d’un marquage CE ou d’une autre certification.

Dans l’Episode 2, découvrez comment fonctionne le permis d’expérimenter : les cas dans lesquels vous pouvez en bénéficier, les démarches que vous devez réaliser, les critères à respecter, etc.


1. Ordonnance n° 2018-937 du 30 octobre 2018 visant à faciliter la réalisation de projets de construction et à favoriser l’innovation

2. Le Décret n°2017-1044 du 10 mai 2017 portant expérimentation en matière de construction précisait ce dispositif et notamment les règles de construction qui pouvaient faire l’objet d’une dérogation.

3. De manière beaucoup plus large que ne le permettait le « permis de faire » en 2017.

4. C’est bien tout le sujet : les règles de construction sont rédigées pour les matériaux et produits neufs, et les règles en matière de réemploi prévues par le code de l’environnement ne visent pas de manière spécifique le réemploi dans le secteur de la construction.

5. On peut néanmoins envisager que constituent des « règles de construction portant sur le réemploi des matériaux » les dispositions relatives au diagnostic déchet obligatoire -codifiées dans le code de la construction et de l’habitation- qui imposent de fournir « l’estimation de la nature et de la quantité des matériaux qui peuvent être réemployés sur le site ». Néanmoins il s’agit plus en réalité de règles de « déconstruction », et, on voit mal l’intérêt de déroger à ce dispositif…

6. Par exemple, dans le cadre de la RT2012.

7.  Article L. 111-9 et suivants du code de la construction.

8.  Voir sur ce point : Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2018-937 du 30 octobre 2018 visant à faciliter la réalisation de projets de construction et à favoriser l’innovation


À propos de l’auteur :

Elisabeth Gelot est avocate chez SKOV Avocats. Elle intervient en droit de l’environnement et plus particulièrement en matière d’économie circulaire.

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